De l'autre côté des vagues
Texte de Jeanne Mathis
Mise en scène & Scénographie Jeanne Mathis
Assistante à la mise en scène Valérie Marinese-Barboza
Création son Djéké Koffi
Création Lumières Ivan Mathis
Avec Sachernka Anacassis, Valérie Marinese-Barboza, Mbaye Ngom, Bintou Sombié,
Production déléguée Cie Kaïros Théâtre
Co-production Scène Nationale Chateauvallon-Liberté d'Ollioules
Partenaires Le Carré Sainte-Maxime / Mairie D'Ollioules
Subvention DRAC PACA (Relancer l'été)
Métropole Toulon Provence Méditerranée
Le Conseil Général du Var - Mairie de Toulon
Création les 30 et 31 mars 2022 - Le Liberté (Scène nationale de Toulon)
De l’autre côté des vagues met en scène trois africains qui nous livrent leur vision divergente de l’Afrique dans sa relation avec le reste du monde.
Katio, son compagnon Kouamé et sa petite sœur Akouba, viennent chaque matin depuis leur enfance ramasser sur la plage les objets rejetés par les vagues. Ils les nettoient, pour les revendre.
Katio, ancienne activiste, n’a plus d’espoir. Rongée par la rancœur, elle considère ceux de l’autre côté des vagues comme responsables de son malheur.
Pour Kouamé le problème vient de ses semblables tous corrompus. Il n’attend rien de son pays et .rêve de traverser les vagues pour rejoindre ces Autres, qu’il admire.
Akouba, croit en un avenir meilleur ici même. Elle voit Katio et Kouamé comme les deux faces d’une même pièce de monnaie dévaluée. Son Afrique, elle l’imagine fière de son identité, libérée de l’idolâtrie ou de la haine.
Sur le plateau, ces trois voix s’affrontent, défendant leur propre vision du monde. Entre amour et conflit, chacun dévoile ses douleurs, ses peurs et ses espoirs.
Ce fragile équilibre va être perturbé par l’arrivée d’une femme occidentale. "L’Autre", comme ils la nomment, va amener le trio à faire des choix.
Note d'auteur
En donnant la parole à ces trois personnages, l’enjeu était d’interroger une certaine vision de l'Afrique, souvent formatée par les stéréotypes. Aussi ce texte est avant tout un conte moderne trouvant sa source dans notre réalité.
Le contexte
Pour certains sociologues et économistes, l’Afrique est le « continent de demain » de par ses richesses et sa croissance. La question que l’on est en droit de se poser est : Quel sera la place de l’africain dans cet avenir fantasmé ? Ou, sans aller jusqu’à spéculer sur un lendemain incertain, quel est sa place aujourd’hui ? Après des siècles d’aliénation physique et psychologique doit-il attendre de l’occident un changement de jugement ou imposer au reste du monde sa propre définition de lui-même ? Comment après des décennies de comparaison peut-il se construire de façon authentique, originale et libre ? Loin d’un modèle occidental qui n’est pas le sien.
Dans son livre Afrotopia, Felwine Sarr écrit :
« Fonder une utopie, ce n’est point se laisser aller à une douce rêverie, mais penser des espaces du réel à faire advenir par la pensée et l’action […) L’Afrotopia est une utopie active qui se donne pour tâche de débusquer dans le réel africain les vastes espaces du possible et les féconder. »
Sans avoir la prétention de donner des réponses, ce projet a pour ambition d’offrir un lieu de rencontre, tous continents confondus, où nos imaginaires se croisent pour rêver le monde de demain loin des concepts de « race » où de « genre ». Car au-delà de l’Afrique, De l’autre côté des vagues pose la question de l’humanité dans sa globalité et tente de construire un lieu apatride où le mot « humains » à lui seul nous définit.
Note de mise en scène
En faisant appel à des comédiens africains, le texte sera nourri d’une musicalité et d’un rythme propre à ce continent. Les acteurs s’approprieront le langage de la pièce jusqu’à lui donner une emprunte nouvelle basée sur le métissage. Entre écriture poétique et dialogue de rue, le pari sera de créer l’harmonie entre les styles. Inventer un langage où les mots s’entrechoquent, transcender l’énergie des corps pour mettre en lumière l’urgence qui les anime.
De l’autre côté des vagues est un conte des temps modernes, une histoire inventée dont les thèmes font échos à nos sociétés et aux défis qu’elles doivent relever. Cet univers onirique sera nourri par une bande son originale où instruments de la tradition et son électrique se mélangent créant un pont intemporel entre passé et futur, entre Afrique fantasmée et Afrique réelle.
La scénographie accentuera cette volonté d’ambiguïté, jouant sur la confrontation d’objets concrets, issus de notre quotidien et lignes abstraites évoquant un no-mans land. Les lumières parfois crues mettront à bas le mythe tout en offrant par leurs ombres un lieu propice aux légendes.
Tous ces parti-pris ont pour but d’amener le spectateur à ressentir la limite ténue qui sépare cette fiction de la réalité ; qu’il puisse s’identifier à la quête de ces trois jeunes africains dans leur recherche d’eux-mêmes ; et que dans l’aboutissement de ce moment partagé, sa conscience du monde soit plus affûtée.
PERSONNAGES
KATIO, ancienne révolutionnaire désabusée.
KOUAME, dit JJ, petit ami de Katio.
AKOUBA, petite sœur de Katio.
L’AUTRE, une femme européenne
Des passants
Certains mots ou tournures de phrases sont empruntés au langage de rue nouchi de Côte d’Ivoire, leur définition est donnée en exergue.
TABLEAU 1
Au bord du rivage quelque part en Afrique, où la mer dépose sur le sable des objets venus de l’autre côté des vagues.
KATIO, KOUAME et AKOUBA viennent là chaque matin pour ramasser ces objets.
KOUAME – Trouvant une couronne en plastique pour enfant, il se la met sur la tête et imite un personnage important. Un jour je volerai les médailles d’un général endormi. Je les nettoierai, l’une après l’autre, minutieusement, pendant des heures. Je les agraferai sur mon torse, bien au centre pour prouver que j’existe. Elles seront si brillantes que tous me verront, même ceux aux yeux fuyants.
Sous leurs regards je franchirai le pont.
J’habiterai un de ces quartiers aux routes goudronnées qui s’éclairent la nuit. J’aurai une maison avec de l’eau piégée dans les murs, il me suffira de tourner le robinet pour sentir sa fraicheur entre mes doigts, entre mes dents, un simple robinet pour boire encore et encore, un simple robinet pour amener la vie chez moi. J’aurai une maison avec un jardin d’herbe et de fleur ; une voiture, un chauffeur, j’ordonnerai « Chauffeur amène moi là où les hommes rêvent » et il m’y emmènera. Je marcherai sur ces chemins nuageux que tracent les avions au-dessus de nos têtes. D’ici ils ressemblent à des barreaux de prisons, comme si le ciel nous était interdit. Ils m’emmèneront de l’autre côté des vagues, dans ces cités où la gloire peut être gratuite. Je deviendrai un des leurs, sourire aux lèvres, vêtu de neuf, le ventre plein, si plein… je deviendrai gros.
AKOUBA, se moquant – Toi, tu veux devenir gros ? Tu ne pourras jamais !
KOUAME – Petit à petit l’oiseau fait son nid.
AKOUBA – S’ils recommencent à tirer, on verra comment tu vas courir.
KOUAME – De l’autre côté y’a pas de danger, t’es pas obligé de courir.
AKOUBA – Ça n’existe pas, un endroit sans danger.
KOUAME – Bien sûr que si.
KATIO – Bien sûr que non.
KOUAME – Dans ce cas je me protègerai, j’en aurai les moyens.
KATIO – Bébé, ya des fois où je me demande si tu n’es pas plus naïf qu’Akouba.
KOUAME – Pourquoi tu dis ça ?
KATIO –Tu ne passeras jamais le pont.
KOUAME – Pourquoi ?
KATIO – Ton projet… ça ne marchera pas.
KOUAME – Pourquoi ?
KATIO – Aucune médaille ne peut effacer la misère reçue en héritage. Elle a participé à ta conception. Inscrite dans ton code génétique, tu la transpires malgré toi. Un costume trois pièces ne changera rien, tu garderas toujours cette démarche servile qui te donne l’apparence d’une ombre. Ceux de l’autre côté le savent. Il leur suffisait de dicter, génération après génération, leurs lois du beau et du juste pour qu’elles deviennent lois naturelles. Il leur suffisait de nous imposer génération après génération leur image comme un idéal à atteindre pour que nous abandonnions nos vérités. Aujourd’hui, que reste-t-il des gestes légués par nos ancêtres ? Nous sommes de pâles copies défectueuses, singeant une réalité qui n’a jamais été la nôtre.
KOUAME – Je saurai faire illusion.
KATIO – Ils te mépriseront.
KOUAME – Je les ignorerai.
AKOUBA – Tu feras comment ? C’est chez eux, ils sont partout.
KATIO– Ils t’arrêteront, te jetteront dans une cellule sans numéro.
KOUAME – Rien à foutre de la sanction, c’est déjà l’enfer ! Reprenant son jeu de personnage important. Voilà que d’éminents chefs d’état viennent me saluer ! Mes amis soyez les bienvenus !
[…]
Tension
L'Autre
Petit marteau casse gros cailloux
Mon afro house
Sira Yiri
M'Buntu
x