Push
Adaptation du roman de Sapphire
Traduit de l’américain par Jean-Pierre Carasso
Adaptation à la scène Jeanne Mathis & Sophia Johnson
Mise en scène, & Scénographie Jeanne Mathis
Création Lumières Ivan Mathis
Avec Sophia Johnson
Production déléguée Cie Kaïros Théâtre
Co-réalisation Espace Tisot, La Seyne sur mer
Subvention Le Conseil Général du Var
L’adaptation au théâtre du roman Push de Sapphirre, répond à un désir : celui de témoigner et d’interroger l’autre sur le pouvoir de la résilience. Précious Jones a 16 ans. Elle est noire. Sa mère la cogne. Elle attend un deuxième enfant de son père. Elle ne sait ni lire ni écrire. Quand elle est mise à la porte de l’école, il ne lui reste plus rien. Elle intègre alors une école d’enseignement parallèle "Apprendre de Chacun, Apprendre à Chacun". L’apprentissage de la lecture et l’écriture d’un journal intime lui donneront peu à peu un nouveau regard sur elle-même puis sur le monde qui l’entoure. De là elle recouvrera l’envie de se battre pour reconquérir sa dignité, et la maîtrise de son destin. Tel est l'itinéraire de Precious Jones, l'adolescente obèse née à Harlem à l'heure du crack.
L’œuvre de Saphirre est originale à plus d’un titre…
Le style
« Comment traduire une faute d’orthographe ? Comment passer des signes de l’illettrisme et de l’éventuelle dyslexie d’une jeune Noire américaine à un rendu plausible pour un lecteur français ? » Questionne le traducteur Jean-Pierre Carasso.
En effet le langage des banlieues est ici retranscrit de telle manière que de ce réalisme de l’écriture naît une certaine musique proche du parlé poétique qu’est le slam. Le rythme y est syncopé, les mots déformés : ce langage des rues, donne vie au personnage dans l’imaginaire du lecteur. Les flash back de l’auteur nous font penser que l’esprit de Precious est une télévision en zapping constant : elle passe d’un souvenir ancien à un autre plus récent, ou encore se projette dans un avenir coloré à la Cosby Show, ou elle aurait enfin sa place. Car la force de Precious réside tout entière dans sa capacité à espérer. Saphirre insuffle dans ses mots l’espoir, comme moteur, afin de combattre la fatalité d’une vie en marge de la société. Car si les épreuves endurées par Precious Jones, l’ont rendue femme trop tôt, elle n’en demeure pas moins une enfant. Et ses pensées, ses réflexions nous font souvent sourire par leurs naïvetés. Ainsi l’auteur ponctue subtilement son récit de notes humoristiques, et évite l’écueil d’un témoignage pathétique.
Le propos
Un choix singulier, celui de représenter l’alphabétisation comme un moyen d’exister. Precious Jones, la jeune fille afro-américaine, ayant grandi à Harlem, fait partie de cette catégorie d’individus invisibles au regard des autres. Cependant, l’apprentissage de la lecture et de l’écriture lui offre les armes nécessaires pour sortir de l’anonymat.
Dans ce roman, le tour de force de l’auteur, est d’éviter les pièges d’un discours manichéen ou Blancs et Noirs s’opposeraient. Certes, il est question de la condition de la femme afro-américaine, victime d’un environnement violent, et confrontée aux règles trop souvent élitistes de la société. Mais Saphirre ne s’arrête pas là, elle décrit la violence sous ses différentes formes (physique, psychologique, voire indifférence et exclusion…) comme problème universel. Elle dénonce aussi les dérives et excès bureaucratiques du Système. Système qui renvoie sans cesse l’être humain à ses échecs comme pour se soustraire à ses propres limites.
Note de mise en scène
Le choix de raconter l’histoire au travers d’une seule et même voix celle de l’héroïne, permet de mettre en lumière l’isolement du personnage et sa fragilité face aux épreuves endurées.
Sur ce plateau nu, à la scénographie volontairement épurée, l’actrice semble pourtant évoluer parmi des figures fantomatiques surgies de la mémoire de Précious : devant le spectateur se dessine, alors, un tableau réel où se côtoient Mrs Lichenstein la directrice de l’école 146, Mary L. Johnston la mère monstrueuse, Mrs Avers l’enseignante rédemptrice et bien d’autres encore…
Le choix d’une scénographie dépourvue d’artifice souligne la puissance et le réalisme du texte afin d’amener le spectateur à ressentir la limite ténue qui sépare cette fiction de la réalité ; qu’il puisse s’identifier à la quête de Précious dans sa recherche d’elle-même.
Extrait :
[…] Bon, c’est parti, on est jeudi 24 septembre 1987 et je suis dans le couloir. Je suis nickel, je sens bon –fraîche, prope. Y fais chaud mais pas question d’enlever mon cuir aussi chaud qui fasse, des fois qu’on me le tire ou que je le perde. Dans cte putain de baraque à la con, y a rien comme clim, nib, que dalle. La baraque que je cause, bien sur, c’est l’école 146, de la 134e rue, entre Lenox avenue et Adam Clay ton Powell Bvd. Je suis dans le couloir pasque j’ai math en première heure. Les maths me font pas autant chier que j’aurais cru. Je m’amène dans la salle de Mr Wicher et je m’assieds. J’y dis rien. Et maintenant, lui non plus y dit rien. Le premier jour il dit comme ça « Ouvrez vos manuels à la page 122, s’il vous plaît. » je bouge pas. « Miss Jones, j’ai dit, j’ai dit ouvrez vos manuels à la page 122. » « Je suis pas sourde, Ducon ! » Toute la classe se marre. Y devient tout rouge. Y claque sa patte sur le bouquin en disant : « Un peu de discipline. » C’est un petit blanc tout maigrichon qui doit faire dans les un mètre soixante. Je le regarde en disant : « Je peux faire du bruit moi aussi. C’est ça que tu veux ? » Je ramasse mon bouquin et je le claque sur le pupitre tout fort. La classe se marre encore. Y me demande de sortir. « Je sortirais pas avant que la cloche sonne, Ducon. Je suis là pour apprendre. » Il a l’air d’une gonzesse qu’un train viendrait de lui passer dessus. Y sait pas quoi faire. Il essaye de récupérer, de la jouer coolos « Bien, si vous voulez apprendre, calmez vous. » « Je suis calme ». Il a la figure rouge, y tremble. Je laisse béton. C’est moi qu’a gagné. Y me semble. […]
[…] C’est pas nouveau tout ça pour moi. Y a toujours eu queque chose qui déconnait dans les tests. Les tests me montrent avec rien dans la tronche. Les tests nous montrent moi et ma mère c’est même pas qu’on est con, on est invisibe. Une fois je nous est vu à la télé. C’etait une histoire pour foute la trouille, avec des châteaux, tu vois, qu’on sait qu’y sont hantés. Et les gens, enfin y en avait qu’étaient des gens et d’autes qu’étaient des vampires. Mais les vrais gens le savaient pas jusqu’au moment de la fête. Tu vois le genre les blancs qui s’enfilent de la dinde rôtie du champagne des machins etc.. Bon y en a cinq d’assis sur le canapé ; un qui se lève pour prende une photo. Vu ? Quand la photo se développe ( c’est du polaroïde) y qu’une seule personne sur le canapé. Les autes gens existaient pas. C’est des vampires. Y boufent, y boivent, y se fringuent, y causent, y baisent et tout mais à la finale y zexistent pas.
Je suis balèze, je cause, je boufe, je fais la cuisine, je me mare, je regarde la télé, je fais ce que ma mère ame dit. Mais je vois bien quand la photo sort que j’existe pas. Y a pas personne que j’intéresse. Personne qui a besoin de moi. […]
[…] Ecoute, bébé, maman t’aime. Maman est pas con. Ecoute bébé : ABCDEFGHIJKLMNOPQRSTUVWXYZ. C’est l’alphabet. 26 lettres en tout. Ces lettres font les mots. Et c’est tout les mots c’est tout. […]
Push : coup de cœur !
Sophia Johnson interprète le personnage du roman de Sapphire avec une force et un naturel remarquable. Les mots crus, durs, sont poussés comme on crache un poison. Phrases courtes, frappantes, poésie de la rue, proches du slam. Violence maîtrisée, émotion intériorisée, elle donne au personnage une sorte de noblesse arrogante. Pas de pathos, pas de complaisance. Tout est juste. Percutant.
La mise en scène de Jeanne Mathis dépouillée de tout artifice, la musique soul et les lumière d’Ivan Mathis sobres, incisives, aux ombres parfois angoissantes, contribuent à faire de ce spectacle « coup de poing » un véritable réquisitoire contre l’indifférence.
Acte de résistance, acte de résilience, l’écriture comme catapulte contre l’ignorance, il y a tout cela dans Push… et plus encore : l’espoir et l’absolue nécessité d’exister.
Bouleversant moment de théâtre de la compagnie Kaïros Théâtre qui a laissé les lycéens, comme tout le public des Cordeliers, en apnée. La Tribune, M.P. - 28 décembre 2006
« Push » à ne pas rater au TRP !
Un spectacle d’une rare intensité présenté par la compagnie Kaïros Théâtre : « Push » adaptation du roman de Sapphire, est l’évènement « théâtre » de cette fin de saison. La Marseillaise, S.C.
« Push » ou le courage héroïque
Cette pièce met à l’honneur tous ceux qui, anonymes, et dieu sait qu’ils sont nombreux, mériteraient qu’on leur dresse des couronnes de tiare et de laurier, pour le combat quotidien qu’il mène face à leur destin. Implacable. Et qui bien souvent sont montrés du doigt par la société. Une pièce qui remet dans nos consciences à l’endroit ce qui est à l’envers. Le dauphiné, Anne Kerbrat - 18 décembre 2006
« Push », l’apologie de l’espérance
Les spectateur auront retenu la force que peut porter en lui un petit être fragile qui se bat. Et qui du coup envahi la scène du théâtre. […] Il y a dans ce sujet un peu de « Bagdad café » avec sa misère ambiante et le formidable espoir qui s’en extrait. La Provence - 20 décembre 2006
Cette pièce de la compagnie Kaïros Théâtre mise en scène par Jeanne Mathis est une véritable leçon d’humanité qui, pétrie de malheur et de solitude, porte vers l’espoir. Le guide Var mathin - 13 au 19 décembre 2006